Le roi Charles 4 mort sans descendance, Edward 3, roi d'angleterre et petit fils de Philippe Le Bel par
sa mère, revendiqua alors la couronne de France et résolut à la conquérir par
les armes. La victoire remportée à Crécy le
26 Aout 1346 sur le roi de France, ouvrait à Edward 3 la
route vers le nord. Il donne quelque repos à ses troupes, puis se dirige vers
Calais et commence le siège de cette place forte dont la prise sera pour lui le
résultat le plus important de son heureuse campagne.
Pour faire triompher
ses prétentions à la couronne de France, il lui faudra conquérir, dans la France
septentrionale, un territoire sur lequel il puisse débarquer ses armées en toute
sécurité, pour faire ensuite la conquête du pays qu'il convoite et où, en cas de
revers, elles trouveront un refuge certain.
Calais, qui est située en vue des côtes anglaises,
possède un bon port et de solides murailles, convient à merveille pour
l'établissement d'un camp retranché tel que le désire Edward 3. Calais est bien,
suivant l'expression d'un de ses successeurs, "la serrure et la clef de la
France". Le 4 Septembre 1346, après avoir ravagé sur son
passage le Ponthieu et le Boulonnais, brûlé les faubourgs de Montreuil, Etaples
et Wissant, Edward 3 apparaît sous les murs de Calais. Il somme immédiatement le
gouverneur Jean deVienne de lui rendre la Ville. Edward 3 est bien résolu à s'emparer coûte que
coûte de cette place d'armes que les chroniqueurs sont unanimes à considérer
comme l'une des plus puissantes forteresses. Mais se rendant compte qu'il a peu
de chance de réussir par un coup de force, il décide de prendre la Ville par la
famine.
En prévision d'un long siège, Edward 3 bâtit
entre Calais et les rivières de Guines et de Hames, le pont Nieulay, une
véritable Ville qu'il appelle "Villeneuve la Hardie", amplement approvisionnée.
Son armée, forte de 32000 hommes à son départ d'angleterre, comptera à un
certain moment 100.000 hommes de troupe.
Jean de Vienne voit les préparatifs anglais et se
rend compte qu'il sera bientôt contraint par la famine à se rendre. Il décide
donc de faire sortir toutes les bouches "inutiles". Des centaines de pauvres
dépourvus de biens et de provisions sont ainsi chassés. Certains chroniqueurs
affirment qu'Edward 3 autorisa ces malheureux à traverser les lignes de son
armée, d'autres par contre racontent qu'Edward 3 les repoussa et qu'ils
moururent de froid et de aim entre la ville et le camp anglais.
Les premiers temps du siège sont supportables
pour les Calaisiens qui se ravitaillent encore par la Mer. Les opérations du
côté de la terre se réduisent à peu de choses au cours de l'hiver 1346-1347,
juste quelques sorties des assiégés et des escarmouches engagées par les
garnisons françaises des petites forteresses de l'Artois et du Boulonnais.
Edward 3 utilise sans résultat une vingtaine de canons pour abattre les
murailles. Aussi, décide-t-il le 15 Février 1347 de mobiliser une flotte de 120
vaisseaux qui interdiront en permanence l'accès maritime de Calais. Une seule
escadrefrançaise de 30 vaisseaux réussit, le 10 Avril, en dépit de la vigilance
de la flotte ennemie et malgré les fortifications élevées par les assiégeants et
les obstacles de toute nature à l'entrée du chenal, à pénétrer dans le port. Les
autres tentatives échoueront lamentablement ; les navires tombant aux mains des
anglais. Dès lors, Calais n'eut plus d'espoir que dans le secours venant de la
terre.
Le 26 Juin, Jean de Vienne adresse une lettre au
roi de France. Les anglais s'en emparent et Edward 3 se rend ainsi compte que la
famine est à son comble dans la Ville. Dans cet appel émouvant à Philippe de
Valois, il écrit notamment :
"Sachez qu'il n'y a rien qui ne soi tout mangé, et les chiens et les chats et
les chevaux ; et de vivres nous ne pouvons plus trouver si nous ne mangeons
chair de gens, si nous n'avons pas un bref secours". Un chroniqueur anglais place à cette époque
l'exode de centaines de Calaisiens qui auraient péri sous les murs de la Ville,
l'assiègeant leur ayant refusé la traversée de son camp.
Cepandant, Philippe de Valois comprend la
nécessité de tenter un grand effort pour secourir et conserver une place de
premier ordre qui résiste héroïquement. Depuis le 24 Mai 1347, il concentre à
Arras une armée considérable. Après avoir vainement demandé aux flamands leur
concours, il dirige ses troupes vers Hesdin, Fauquembergues, Lumbres,
Nordausques, Tournehem et Guines. Ce 27 Juillet, l'armée Française, forte de
plus de 100.000 fantassins et de 35.000 cavaliers paraît enfin sur les hauteurs
de Sangatte, à la grande joie des Calaisiens qui pensent que la bataille va
s'engager rapidement.
Le roi de France fait aussitôt reconnaitre le
terrain et chercher les points d'attaque les plus favorables. L'examen des
positions ennemies lui révèle que la nature du terrain et les mesures défensives
prises par Edward 3 rendent toute attaque impossible. Philippe de Valois propose
alors à Edward 3 un combat en rase campagne. Ce dernier refuse , sachant que
Calais est à sa merci.
Cependant, le 29 Juillet, les légats pontificaux
apportent des propositions de médiation du Pape Clément 6. Durant 3 jours, les
propositions sont transmises d'un camp à l'autre. Bien que les Français offrent
le Duché de Guyenne et le comté de Ponthieu pour la délivrance de Calais, les
négociateurs se séparent sans compromis. C'est que le désaccord est trop profond
entre Edward 3 dont on connait les prétentions au trone de France et Philippe 4,
roi effectif.
Pendant ce temps, les malheureux Calaisiens que
la faim torture et que seule l'espérance d'être secourus soutient, multiplient
les signaux de détresse et leurs cris vers le roi de France, accompagnés de
bruits de trompettes et de feux durant trois nuits consécutives. Malgré ces
appels désespérés, Philippe 4 ne risque pas l'attaque, la jugeant impossible.
Dans la nuit du Mercredi 1 au Jeudi 2 Août 1347, il donne l'ordre de repli. On
devine aisément l'abbattement des Calaisiens qui perdent ainsi tout espoir.
Aussi, le 3 Août, Jean de Vienne sentant l'impossibilité de continuer la
résistance, après avoir tenu conseil avec ses compagnons d'armes et les
bourgeois restés dans la ville, vient-il aux créneaux demander à parlementer.
Edward 3 envoie aussitôt Gautierde Mauny et quelques chevaliers à qui Jean de
Vienne fait connaître son intention de rendre la Ville à la condition d'accorder
vie sauve à la garnison et à la population. Edward 3 très irrité par
l'extraordinaire résistance des Calaisiens et la perte de beaucoup d'hommes et
d'argent exige une capitulation sans conditions. Gautier de Mauny promet à Jean
de Vienne d'essayer de fléchir la rigueur du roi.
En présence du roi, Gautier de Mauny répète la
conversation qu'il a eue avec le Gouverneur de Calais.Edward 3 persiste dans son
intention, Gautier de Mauny, bravant la colère de son roi, lui montre la rigueur
de sa décision.Tous les barons présents comprennent qu'en somme, le seul crime
des Calaisiens était de combattre pour leur roi. Aussi, se joignent-ils à
Gautier : Edward 3, ébranlé, dit enfin sa sentence : "Seigneurs, je ne veux pas être tout seul contre
vous tous. Gautier ; vous irez vers ceux de Calais et direz au Capitaine que la
plus grande grâce qu'ils pourront trouver et avoir de moi, c'est qu'il parte de
la Ville, 6 des plus notables bourgeois, pieds nus et la corde au cou et les
clefs de la Ville et du Château en leur main et d'eux je ferai ma volonté, et le
reste j'en prendrai pitié"
Gautier revint en hâte auprès de Jean de Vienne
qui l'attend sur les remparts et l'informe de la décision de son maître. Jean de
Vienne le remercie et lui demande de demeurer le temps de communiquer son
message aux Calaisiens. Il fait aussitôt sonner les cloches et assembler la
population sur la place du marché et fait connaitre les conditions imposées par
le vainqueur.
Des cris, des gémissements, des pleurs répondent
à ses paroles et lui-même est fort ému. Un moment après, le plus riche bourgeois
de la Ville, Eustache de Saint-Pierre se lève et dit :
"Seigneur, il serait grand malheur de laisser un
tel peuple mourir ici de famine quand on peut trouver un autre moyen. J'ai si
grande espérance de trouver grâce et pardon envers notre Seigneur si je meurs
pour sauver ce peuple, que je veux être le premier ; je me mettrai volontiers en
chemise, nue tête, la corde au cou, à la merci du roi d'angleterre".
Chacun s'approche de lui et le remercie, des
hommes et des femmes se jettent à ses pieds en pleurant. Devant cet héroïque
exemple, un autre très honnête et riche bourgeois, Jean d'Aire, se lève et
déclare sa volonté de partager le sort de son compère. Un troisième, Jacques de
Wissant, dit vouloir faire compagnie à ses deux cousins. Puis ce sont Pierre de
Wissant, son frère, Jean de Fienne et Andrieux d'Andres. Les 6 bourgeois se
dévêtent, tous nus en leurs chemises, mettent la corde au cou et prennent les
clefs de la Ville et du Château chacun en tenant une poignée. Quand ils sont
prêts, Jean de Vienne se met devant eux et prend le chemin de la Porte
accompagnés des hommes femmes et enfants qui pleurent, se tordent les mains et
crient à haute voix. La scène est poignante. Au delà de la Porte, Jean de Vienne
dit à Gautier qui l'attend :
"Je vous livre comme Capitaine de Calais, avec le
consentement du peuple de cette Ville, ces 6 bourgeois, et je vous jure qu'ils
sont et ont toujours été les plus honorables...".
Et ils s'en vont vers leur destin au camp des
anglais. A leur arrivée, le roi Edward 3 vient sur la place en face de son
palais ayant à ses côtés la reine Philippine de Hainaut sa femme (qui était
enceinte) et les seigneurs de sa cour. En présence du roi, les 6 bourgeois se
mettent à genoux et disent en joignant leurs mains :
"Gentil Sire et gentil roi, voyez-nous les six,
qui avons été d'anciens bourgeois et grands marchands de Calais ; nous vous
apportons les clefs de la Ville et du Château ; nous nous mettons en votre pure
volonté pour sauver le "demeurant" du peuple de Calais qui a beaucoup souffert
de privations. Veuillez avoir de nous pitié et merci par votre très haute
noblesse".
Les seigneurs et chevaliers présents ne peuvent
s'empêcher de les prendre en pitié et ont grand peine à parler.
Le roi les regarde très en colère car il avait le
coeur si dur et si épris d'un grand courroux qu'il ne peut parler. Quand il le
peut enfin, c'est pour dire qu'on leur coupe la tête. Tous les barons et
chevaliers présents ainsi que Messire Gautier de Mauny prient le roi de les
prendre en pitié mais en vain. C'est alors la reine d'angleterre qui ne pouvant
se retenir de pleurer, se jeta aux pieds du roi et dit:
"Ah, gentil sire, depuis que je repassai la Mer
en grand péril comme vous le savez, je ne vous ai rien demandé ; or, je vous
prie humblement et requiers à mains jointes que pour l'amour du fils de
Sainte-Marie et pour l'amour de moi, vous veuillez avoir de ces hommes mercy"
Le roi attend un moment, regarde la reine qui
pleure, s'émeut et ne veut pas lui faire peine et dit :
"Ah, Madame, j'aimerai mieux que vous fussiez
autre part qu'ici ! Vous me priez si tendrement que je n'ose vous éconduire
malgré que j'en ai envie. Tenez ! je vous les donne ! faites-en votre plaisir!"
Alors la reine joyeuse se lève, fait lever les 6
bourgeois, leur enlève les cordes qu'ils avaient au cou et les emmène avec elle
dans sa chambre, les fait vêtir, leur fait servir à diner, leur fait remettre à
chacun 6 nobles d'or et les fait conduire hors du camp en sûreté. Ils s'en vont
demeurer dans plusieurs villes de Picardie. Le lendemain, 4 Août 1347, Calais
est occupé et Gautier de Mauny prend possession de la Ville et du Château.. Son
premier soin est d'ordonner de mettre Jean de Vienne et ses chevaliers en prison
courtoise, en attendant leur transfert en angleterre jusqu'à ce qu'ils aient
payé leurs rançons. Les simples hommes de troupe sont rassemblés dans la halle
pour y déposer leurs armes, puisrenvoyés. Il fait amener dans la Ville des
charettes entières de victuailles qui sont distribuées aux habitants. Cette
distribution a des effets désastreux car plus de 300 personnes succombent pour
avoir absorbé trop de nourriture trop vite. Ceux qui survivent sont expulsés,
car Edward 3 a résolu de peupler la Ville de sujets anglais. Seul un prêtre et
quelques personnes agées restent à Calais pour fournir des renseignements
relatifs aux coutumes anciennes de Calais.
Telle est, d'après les "Chroniques" de Froissart,
la version la plus généralement admise de la reddition et du dévouement des 6
bourgeois. En 1895, l'illustre Rodin a figé dans l'immortalité du bronze, la
sublime nudité de nos héros.
 
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